Concept précis

Déconstruire, reconstruire

« un femmes » propose la déconstruction d’un message incohérent, par sa répétition et sa décomposition, et ceci pour la reconstruction d’autres messages, eux cohérents, organisés dans un palimpseste agglomérant réalité, abstraction, répétition, unicité, accélération ou ralenti, musique d’ambiance ou de recherche, sens, non sens, humour, gravité. Le but est de fuir ou détruire tout paradigme que les mots « un » et « femmes » peuvent susciter.

Cette proposition ontologique tend à revenir à l’essence de chacune des participantes pour laisser l’émotion, le jeu et le plaisir prendre la place première du récit.

Ce sont deux mots écrits sur les photos des visages. Ce sont aussi deux mots prononcés ! Il y a donc “un femmes” écrit (photo) et “un femmes” dit (vidéo). L’inscription écrite aura-t-elle le même sens que lorsqu’elle sera dite ? Selon les façons de le dire, quels sens auront ces deux mots ? Comme une énumération, comme une répétition, comme une insulte, en les séparant, en les liant, …etc.

Après en avoir exploré les différents sens, les mots « un » et « femmes », dits par des femmes et répétés par l’auteur à outrance, ils perdent complètement leurs sens. De cette déconstruction nait d’autres sens plus abstraits, plus instinctifs. Ce jeu de répétition utilisé dans d’autres domaines (en propagande, en publicité, ou même en musique) touche à notre animal profond.

Cet animal touché par le primaire de la répétition est tout autant capté par la décomposition du langage : le désaccord en genre et en nombre de « un femmes ». Si « une femme » et « des femmes » sont vrais, alors « un femmes » est faux … incohérent. C’est cette incohérence que « un femmes » explore. Pourtant ce message dit, répété et mis en scène peut devenir totalement cohérent et raconte une autre histoire. Reconstruit.

Cette mise en scène est très précise, elle est à la fois :

  • Installée
  • Graphique
  • Musicale
  • Sonore
  • Relationnelle
  • Humoristique
  • Systémique

Voyage ludique et contemplatif « un femmes » est une vision masculine de la femme, exprimé par des femmes : « un femmes ». Cette mignonne dose d’insolence affirme une erreur de genre et de nombre assumée et revendiquée. Ces femmes dont les propos uniques, les identités uniques, le discours unifié, apparaissent là pour ce qu’elles sont dans leur unicité : multiples.

« un femmes » susurre une infamie bienveillante, très simplement humoristique, poétique.


  • De l’installation : « au milieu des femmes »

« un femmes », vous installe tout proche des images et des sons. Ce sont de grandes images et un son enveloppant.

Les spectateurs d’une salle de cinéma venant se tenir juste devant l’écran illustreraient assez bien la manière de vivre « un femmes ». Loin du principe d’une image que l’on observe à distance, vous êtes là, dans l’image, comme un enfant, devant, le nez à l’écran.

Le diptyque photo et vidéo qu’est « un femmes » confronte images muettes fixes et images sonores en mouvement.

D’un côté les images sont fixes. C’est un montage photo en format d’affiche. Des visages de femmes sont figés et expriment un sentiment choisi, décidé. Le quadrillage est parfait, seule l’inscription « un femmes » le  recouvre et rompt l’exactitude.

De l’autre côté les images bougent. Une projection vidéo montre les mêmes femmes dans un cadre installé pour s’exprimer : chacune donne sa version des mots inscrits sur les photos : « un femmes ».

Passer de l’image en mouvement à celle qui est fixe est permis bien sûr.  Là, le temps est donné de regarder la fixité des regards photographiés et surtout de retrouver la femme qui vient de livrer « sa » version tout juste mise en scène.

Partie photo de « un femmes »

Photogramme de la partie vidéo


  • Du graphisme

Grâce à Jules-Etienne Marey, le temps a été décomposé en image. Immobilisé. La photo s’impose donc. Le temps figé déconstruit un moment vécu pour créer un infini immobile.

Vient ensuite la répétition du moment, son ralenti, son accélération, son asynchronisme, sa division, sa multiplication, sa superposition, son addition, son mutisme et tant d’autres transformations possibles !

La partie vidéo du diptyque n’est pas un montage linéaire (bout-à-bout) des différentes versions. Les images de ces femmes cohabitent dans l’image projetée de manière non linéaire. Petits et grands cadres se partagent l’image vidéo projetée en se mêlant graphiquement et en harmonie sonore. Apparitions, disparitions, répétitions, mouvements de ces femmes chuchotant, criant, disant « un femmes » dans l’image projetée créent un jeu hypnotique. Les changements de tailles des cadres et les évolutions accélèrent ce jeu.

Le parti pris graphique explore donc ces déconstructions pour créer d’un côté une image composite figée agglomérat de toutes les images figées des participantes, et de l’autre une image en mouvement résultant de tous les types de transformations précitées.




  • Du son

Le son n’est pas unique. Reproduit sur huit haut-parleurs disposés derrière l’écran de la partie vidéo, il est organisé pour plus que deux oreilles. Les sources sonores multipliées et proches englobent les spectateurs, voire les dépassent (la première version disponible actuellement est stéréo).

C’est d’ailleurs en cohérence avec les transformations qu’ont subi les messages primaires. Elles ont multiplié les images et les sons et cette organisation sonore respecte cela tout en maîtrisant ce qui pourrait devenir une cacophonie. Il n’en rien car les oreilles finiront par, comme dans la vie, entendre ce qu’elles regardent !


  • De la musique

Depuis Olivier Messiaen on sait que toute expression sonore peut être notée musicalement. C’est de cette idée que je suis parti pour ce qui est de mettre en scène musicalement les intervenantes de « un femmes ».

Voici en exemple une page de ce travail de notation.

La musique ainsi notée, que chacune des participantes crée avec son intervention, est exploitée comme une cellule musicale. Ces micro-thèmes assemblés rythmiquement et harmoniquement font base du matériel musical. Le geste de départ vient donc véritablement d’elles et conditionne la teneur de la musique définitive.

Il est intéressant de constater que l’étude de ces notations révèle, par exemple, que la relation entre l’humeur de la participante et son utilisation instinctive d’intervalles majeurs ou mineurs est cohérente par rapport au sens communément attribué à ces intervalles (i.e. : mineur = triste, majeur = joyeux).


  • Des relations

Deux types de relations s’installent dans l’expérience qu’est « un femmes ».

Celle entre la filmée et nous. Qui est-ce ? D’où vient-elle ? Quel est cet accent ? Quel est ce lieu ? … etc …

Car si les mots deviennent peu à peu sans sens, la façon de les prononcer prend le pas. Très vite ce ne sont plus les mots que l’on écoute mais la position du corps, le lieu, la coiffure, les vêtements, les regards hors champ, les évènements extérieurs, « la » femme.

Cette relation là pourrait exister sans mots mais elle n’aurait pas cette qualité normative d’imposer deux mots, et juste deux mots. Très vite est attendu la prestation de chacune des participantes comme un défi !

Celle entre les filmées. Le montage de leurs interventions tient compte de la possibilité de créer une relation imaginaire : par des regards hors champ, par des synchronismes de levées et d’assises, par des assemblages rythmiques ou harmoniques.

Parfois elles sont filmées en groupe et donc de vraies relations existent inéluctablement.


  • De l’humour

C’est un humour diffus, lui aussi déconstruit qui joue sur les ambigüités et sur le trouble des participantes à prononcer des mots abscons et tenter de leur donner un sens.

C’est aussi la perception de la vie qui existe autour de ces femmes au moment de leur prestation (circulation, voisine de table qui continue à parler, activité dans le bar, etc …) qui décale le propos !


  • Systémique

« un femmes » est pensé comme un système agissant sur lui-même.

La mise en scène des interventions combine les caractéristiques précitées pour un propos riche. La création de la musique influe et détermine les choix graphiques qui sont eux-mêmes décideurs des relations entre les filmées et donc de l’humour qui en résulte. Ce chemin fatalement arpenté dans l’autre sens au cours de la création de « un femmes » fonctionne tout autan !